Depuis de nombreuses années, Pick Up Production mène des actions permettant l’accès et l’initiation à la culture hip hop. Parmi elles, il y a l’organisation d’ateliers de human beatbox et DJing accessibles aux personnes sourdes, mal et non-voyantes. Ces derniers sont menés par des intervenant·e·s expert·e·s dans la pratique et la transmission de leur discipline. Focus et questions croisées sur trois d’entre eux : Furax du collectif French Beatbox Family, Anne Chevalme, fondatrice de la structure 1,2,3 Cité Cap et DJ One Up de l’association From Scratch.
HOS : Comment sont nés vos premiers ateliers accessibles autour des événements de Pick Up Production ?
Anne Chevalme : Dès 2014, Pick Up Production a pris part aux réflexions menées autour du projet « Le beatbox n’est pas réservé aux entendants ! » organisé à Dijon avec La Vapeur, Zutique Productions et 1.2.3 Cité Cap. Cet événement a permis à de jeunes sourd·e·s de découvrir la pratique du human beatbox. Encadré par Levi Flow, un artiste beatboxeur, et de techniciens, le groupe a pu également participer à la fabrication de mobiliers permettant de ressentir les vibrations et de visualiser le son.
Furax : Suite à ce projet, lorsqu’Anne est arrivée sur Nantes, on a décidé de travailler ensemble afin de poursuivre le travail autour de la pratique du human beatbox auprès du public sourd et malentendant. Pick Up Production a été alors d’un grand soutien. Sensible depuis plusieurs années à l’accessibilité universelle, l’association a développé des ateliers ouverts au public sourd et entendant au sein des programmations des projets hip hop (Hip Opsession, RDV Hip Hop) et Transfert. Le human beatbox étant l’une des disciplines de la culture hip hop, nous ne pouvions que diffuser tous et toutes ensemble de bonnes vibrations !
DJ One Up : « Auto Radio », mon premier atelier accessible aux personnes en situation de handicap visuel s’est tenu à Transfert en 2018.
L’idée à travers cette initiative de Pick Up Production rejoint celle de départ de mon projet d’ateliers « À l’écoute » : l’exclusion n’y a pas sa place. C’est à moi de m’adapter, d’être créatif, imaginatif et de trouver la forme idéale pour que les publics invités s’épanouissent, créent à leur tour, découvrent et se perfectionnent en musique. C’est une richesse sans limite !
HOS : Quels sont les dispositifs techniques et sensoriels que vous mettez en place afin d’adapter votre pédagogie et rendre accessibles ces ateliers aux publics en situation de handicap visuel et auditif ?
Anne Chevalme : Nous avons les « blaisophones », des caissons vibrants et lumineux, créés en 2014 à Dijon, ainsi que des gilets vibrants (ou Subpac, version immersive live) à disposition. Ces deux solutions techniques permettent aux participant·e·s de ressentir les sons produits lors des ateliers. Elles s’accompagnent d’une médiation en français/langue des signes française et d’un contenu pédagogique adapté aux publics auxquels nous nous adressons. Ce qui est intéressant avec le human beatbox, c’est la gestuelle utilisée par les artistes dans leur pratique. Les personnes signantes ayant une facilité à agrémenter et à appuyer les sons créés, l’association de sons et de signes fait sens dans la construction et dans la transmission de cette discipline à forte dimension visuelle.
Furax : Puis grâce à la pratique et à l’échange avec les participant·e·s des ateliers, nous associons certains sons à des signes pour leur permettre de mieux se rappeler chaque son émit en human beatbox.
DJ One Up : De mon côté, mes interventions ont lieu avec des niveaux de handicaps visuels différents : des personnes avec une faible déficience, des malvoyant·e·s et non-voyant·e·s. La première chose, c’est de les familiariser avec l’espace proposé durant les ateliers. On scanne la salle en se déplaçant, en touchant le mobilier, le matériel et tout ce qui nous entoure. De nombreux outils de compréhension sont proposés et des repères sont positionnés sur les disques et instruments selon les sensibilités de chacun·e.
Une envie de développer ces ateliers auprès des personnes sourd·e·s et malentendant·e·s est dans les esprits avec caissons et gilets vibrants. À suivre !
HOS : Quelles sont les réactions des participant·e·s pendant les ateliers ?
Furax : C’est vrai que c’est n’est pas toujours simple pour une personne sourde de se dire qu’elle va produire de la musique avec sa bouche. Il y en a même certain·e·s qui avait l’impression de revivre des séances d’orthophonie. De notre côté, on souhaite vraiment associer cette pratique au plaisir. Après discussion avec les participants en fin d’ateliers, leurs craintes sont effacées et certains veulent même réitérer l’expérience !
Anne Chevalme : Pendant un atelier nous faisons groupe et nous expérimentons ensemble. Nous avons amené une proposition, libre à chacun·e d’y participer. La musique est présente partout dans le quotidien. Nous pouvons la percevoir de différentes manières. Les réactions des personnes sourdes diffèrent également. Parfois, des yeux s’illuminent lorsque une puissante vibration est ressentie. D’autres jeunes sont plus timides et ont le regard amusé de voir leurs camarades s’essayer à l’exercice. Et puis d’autres refusent aussi, ce que nous comprenons complètement avec Furax. Découvrir sa voix amplifiée, des vibrations, le human beatbox, deux intervenant·e·s, les multiples regards, le tout en y mettant une dose de confiance en soi et aux autres, le tout en une seule séance ; je veux bien croire que cela est impressionnant !
DJ One Up : Il y a une réelle surprise et curiosité, ainsi que beaucoup de rires. Le DJing est une discipline qui demande patience, compréhension, de la répétition et de la dextérité pour se faire plaisir et progresser. J’ai le sentiment que les participant·e·s sont heureux·ses de tenter l’expérience sans connaître forcément la discipline. Les repères tactiles sont là comme soutien ! Pour moi, l’écoute est la clé de tout, mouvement technique ou composition. Au final, même sans la vue, le public s’empare véritablement des instruments et parvient à réaliser les mouvements avec prouesse.